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Cinecdotes
11 mars 2010

Le cinéma français est-il raciste ?

 

Depuis le 10 février 2010, un débat fait rage autour du choix de Gérard Depardieu pour incarner l'auteur des "Trois Mousquetaires" dans le film historique "L'autre Dumas". Tout le monde ne sait pas que le célèbre écrivain était le fils d'un métis, ancien esclave devenu Général de l’armée française. L'auteur, souvent rallié à cause de sa couleur de peau, se décrivait lui-même comme « un nègre aux cheveux crépus ».

 

Alexandre Dumas

 

 

Pourquoi un Dumas blanc ?

 

Comme bien souvent, Gérard Depardieu offre toute l'épaisseur de son talent pour incarner Dumas et c'eut été le teint albâtre de sa peau, personne n'y aurait rien eu à redire. Le débat se pose plutôt sur le choix du réalisateur qui a préféré un acteur à la ressemblance douteuse avec un personnage historique à un comédien au teint plus hâlé. A l'heure où l'on nous ressasse les valeurs de la diversité française, tourner ainsi le dos à des dizaines de comédiens de talent au profit d'un acteur plus "bankable" est franchement d'un goût douteux.

 

Il faut dire que la France est particulièrement en retard en ce qui concerne la représentation multiculturelle au 7art. La faute à un immobilisme des producteurs trop frileux à l'idée de heurter la sensibilité du grand public. Les producteurs de "L'Autre Dumas" se justifient d'ailleurs en arguant que « si la diversité, dans son ensemble, a besoin d'être promue, elle ne doit pas l'être au détriment de la liberté artistique. Celle-ci, fondée sur l'analogie et la métaphore, commence par le choix des acteurs ». Ils auraient sans doute évité bien des déboires en optant pour la diversité dès le début, d'autant que la polémique et le teint "politiquement correct" de Gérard Depardieu ne leur ont pas réussi (à peine 200 000 entrées à ce jour).

 

« L’Autre Dumas pose la question de la place des acteurs noirs ou métis dans le cinéma français, qui ne peuvent jouer que des personnages typés alors que les acteurs blancs, considérés comme des acteurs "universels", peuvent jouer des personnages de toutes apparences » explique le CRAN, le Conseil représentatif des associations noires, qui se bat depuis des années pour une meilleure représentation des minorités dans les médias et le monde culturel. Le comité juge le film « symptomatique de la discrimination dont son victimes les personnes issues de la diversité et de la difficulté des élites à le reconnaître ».

 


Le cinéma français, trop monocolore ?

 

Hormis quelques acteurs issus de la scène comique (Omar Sy, Pascal Légitimus, Thomas N'gijol, Dieudonné) ou du monde de la musique (Stomy Bugsy, Doudou Masta, Sérigne M'Baye alias Disiz la peste, Joeystarr récemment nommé aux César), peu d'acteurs noirs sont parvenus à inscrire leur noms dans l'esprit des spectateurs. Qui plus est, ils sont encore trop souvent relégués aux seconds rôles, quant ils ne sont pas stigmatisés dans des films de banlieue ou de malfrats. Les rares fois où des comédiens noirs tiennent des premiers rôles, c'est à l'initiative de réalisateurs audacieux (Claire Denis, Coline Serreau, François Dupeyron) ou eux-mêmes d'origine caribéenne ou africaine (Abderrahmane Sissako, Raoul Peck).

 

 

Aide-toi, le ciel t'aidera - Félicité WouassiCe qui est d’autant plus regrettable, c'est qu'aujourd'hui encore, on ne voit quasiment jamais au cinéma des
personnages noirs pour lesquels la couleur de peau n'a pas d'incidence sur l'histoire, à de rares exceptions près. Pour son film "Aide-toi, le ciel t'aidera", François Dupeyron a choisi de s'intéresser à une famille d'origine africaine, mais l'héroïne aurait tout aussi bien pu d'origine européenne ou asiatique. Quant à la nouvelle coqueluche du cinéma français Aïssa Maïga, c’est une des rares actrices à pouvoir se vanter de jouer des rôles pour lesquelles sa couleur de peau n'entre jamais en ligne de compte (dans "Les poupées russes", "L'un reste, l'autre part", "Ensemble, c'est trop").

 

La polémique du film "L'autre Dumas" a mis en exergue une discrimination persistante dans le cinéma français qui, aujourd'hui encore, handicape un grand nombre d'acteurs noirs.

 


Des voix sans visages

 

Faute de rôles conséquents, nombre d’acteurs noirs doivent se contenter de jouer les doublures vocales. Le plus célèbre doubleur vocal black est sans aucun doute le comédien Med Hondo. Son style est tellement reconnaissable que les producteurs de "Shreck" ont choisi de faire appel à lui pour doubler Eddie Murphy (l'âne dans la VO) au lieu de choisir des stars au visage connu comme c'est devenu la coutume.

 

Mais dans le doublage aussi, une insidieuse ségrégation persiste, les comédiens noirs se voyant généralement limités au doublage d’acteurs afro-américains. La seule à prêter son timbre sans distinction de couleur est l’actrice Maik Darah, connue pour être la voix de Whoopi Goldberg et de Courteney Cox (mais aussi de Madonna, Angela Bassett, Jenna Elfman, Rosanna Arquette, Linda Fiorentino...) « Je suis métisse, cela explique peut-être cette aisance à passer du timbre grave au moins grave », confie-t-elle. Quoiqu’il en soit, les acteurs de couleurs peinent à passer de la case doublage à celle des écrans de cinéma et doivent user de persévérance pour s'imposer sur les écrans.

 

Une première étoile enchantée

 

La première étoile de Lucien Jean-Baptiste

Après s’être contenté de petits rôles et de cachetons de doublage (il est, entre autres, la voix de Will Smith et Chris Rock), le comédien martiniquais Lucien Jean-Baptiste s’est finalement écrit un rôle sur-mesure inspiré de ses propres souvenirs d’enfance aux sports d’hiver avec "La Première étoile". Ce premier essai derrière la caméra, Grand Prix du Jury et le Prix du Public au festival d'humour de l'Alpe d'Huez et cité aux César dans la catégorie meilleure première œuvre, fut l’un des succès surprise de l’année 2009. « Globalement, le succès des 1,7 millions de spectateurs vient surtout d’un public blanc. D’ailleurs, ma grande victoire après la projection, c’est que les gens n’abordaient pas la notion de couleur de peau » explique le jeune réalisateur.

 

« Tout ça, c’est souvent une histoire d’argent. La frilosité vient du fait que l’on se repose souvent sur les grandes productions américaines ou de grands acteurs français comme Gérard Depardieu, Daniel Auteuil ou Catherine Deneuve qui sont des ‘valeurs sûres’. Moi, en tant que jeune cinéaste français, je raconte des histoires liées à mon identité comme ont pu le faire Dany Boon dans Bienvenue chez les Ch’tis ou Gad Elmaleh qui fait référence au judaïsme » déclarait il y a quelques mois Lucien Jean-Baptiste. Des propos quasi-prophétiques !

 

Le conte de fée de "La Première étoile" ne s'arrête pas à ce joli succès puisqu'une "Seconde étoile" est déjà en préparation et que l'humoriste américain Chris Rock vient de racheter les droits du film de sa doublure vocale française ! La polémique Dumas a démontré qu'il reste difficile pour un acteur noir de se faire une place dans le cinéma français. Les américains, en revanche, sont bien plus en avance dans la représentation des minorités.

 


L’exemple américain et l'exception télévisée

 

D'où une question qui se pose d'une manière récurrente dans notre société toujours trop sclérosée : faut-il imposer une discrimination positive ? Une mesure à laquelle les pouvoirs se refusent toujours. Il faut dire que la classification de la population par une quelconque "race" ou confession religieuse nous ramène à un passé bien peu glorieux. Reste alors à tout à chacun de prendre l'initiative de refléter une image fidèle de la société française actuelle. Une initiative qui s'impose depuis quelques années déjà à la télévision. Sans doute inspirés par leurs confrères américains, les producteurs de séries télés ont pris l'habitude d'intégrer un casting varié au sein de leurs créations, tout d'abord dans les seconds rôles, puis peu à peu en tête d'affiche (Sonia Rolland - "Léa Parker", Louis Karim Nébati - "Fabien Cosma") ou alors dans le rôle du grand patron (Jean-Michel Martial dans "Profilage"). Interrogé sur ‘l’affaire Dumas’, Jacques Martial, vedette noire de Navarro, évoque un « mécanisme de discrimination par le silence ».

 


L’exil des talents

 

En attendant que la grande famille du cinéma français se montre plus ouverte, certains acteurs noirs préfèrent tenter leur chance aux Etats-Unis. Il faut dire que depuis la mise en place de l’affirmative action au cours des années 70, il devenu quasiment normal de voir des acteurs de toutes origines au cinéma et à la télévision, et pas uniquement dans des productions marginalisées comme celles de la Blackploitation. Après les pionniers Hattie McDaniel (Oscar du meilleur second rôle féminin en 1939 pour "Autant en emporte le vent"), Harry Belafonte, Sydney Poitier (premier noir à recevoir l'Oscar du meilleur acteur en 1958), Sammy Davis Jr ou encore Dorothy Dandridge ("Carmen Jones"), de nombreux acteurs et actrices noirs ont inscrit leur nom au panthéon d’Hollywood. Eddie Murphy, Will Smith, Chris Rock, Denzel Washington, Morgan Freeman, Whoopi Goldberg, Angela Basset, Danny Glover, Chris Tucker, Jamie Foxx, Samuel L. Jackson, Halle Berry, Jennifer Hudson, Wesley Snipes, Forest Whitaker et bien d'autre encore ont ainsi acquis le rang de star du grand écran !

 

D’où la tentation pour les français de s’expatrier sur ce terrain plus propice à la mixité, du moins sur les écrans. Par la voix de sa présidente Véronique Cayla, enfin, le Centre national du cinéma (CNC) estime que «notre retard sur les Etats Unis est immense » et que « le métissage bien réel de la société française n’est reflété ni à la télévision ni au cinéma ».

 

Ancien SDF repéré par un photographe de mode sur les trottoirs parisiens, le béninois Djimon Hounsou s’est vu offrir l’un des rôles principaux dans le bouleversant "Amistad" de Steven Spielberg. Depuis, on l’a notamment vu jouer un rôle récurrent dans "Urgences", vu dans "Gladiator", "Blood Diamond" et a été nommé à l’Oscar du meilleur second rôle pour "In America". En France, on ne l'a aperçu qu’à une seule reprise dans la peau d’un flic tenace dans "Le Boulet". Même chose pour Jimmy Jean-Louis, l’une des stars de la série "Heroes", récemment à l'affiche de "Coursier". Nous sommes encore loin des grands rôles dramatiques !

 

Isaach De Bankolé, lui, a débuté en France en 1987 dans "Black Mic Mac", film pour lequel il fut nommé meilleur espoir masculin. Il a depuis bâti sa carrière entre la France et les USA où il est devenu l’un des acteurs fétiches du réalisateur indépendant Jim Jarmusch. On a également pu le voir dans la peau d'un Président africain dans la série "24 heures chrono" et au casting du dernier film de Claire Denis, "White Material".


Pendant que "La Première Etoile", "La Princesse et la Grenouille" ou encore "Invictus" font un tabac (ils ont tous dépassé les 3 millions d'entrées), "L’autre Dumas" ne convainc pas. Un constat qui met un porte-à-faux les arguments des producteurs trop craintifs. Reste à ceux-ci de balayer les idées reçues pour enfin mieux représenter la diversité française !

 

Marion Batellier, publié le 11 mars 2010 sur http://suite101.fr/

 

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