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Cinecdotes
8 juillet 2013

"Une séparation" en Iran

 

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Asghar Farhadi - Réalisateur

Le film évoque à la fois la séparation d'un couple, la place des femmes en Iran, la lutte des classes. N'aviez-vous pas peur de vous perdre en route avec tous ces sujets ?

C'était une de mes craintes effectivement. Est-ce que ces multiples entrées, ces multiples thématiques n'allaient pas gêner le spectateur. Il a donc fallu travailler pour équilibrer ces thématiques et raconter une histoire qui tienne la route. Ce qui est intéressant, c'est que ces thèmes, même s'ils semblent indépendants, ont quand même des liens. Il fallait réussir à montrer quelles étaient ces connexions.

La première partie est plutôt un drame intimiste sur la séparation d'un couple et ses conséquences sur la famille, tandis que la deuxième s'apparente davantage à un drame social avec deux entités familiales représentant deux milieux diamétralement opposés de la société iranienne.

On peut dire que la séparation du couple me sert de prétexte pour montrer la lutte des classes, en tout cas la séparation entre ces deux classes. C'est le départ de l'épouse, Simin, qui engendre l'arrivée de l'aide soignante et tout ce qui s'en suit.

 La séparation du couple ne serait donc qu'un prétexte pour la suite de l'intrigue ?

Je n'ai sans doute pas utilisé le bon terme. Je ne dirais pas que c'est un prétexte mais plutôt un point de départ à notre histoire. Thématiquement, les sujets sont très liés, comme des anneaux. On ne peut pas les séparer les uns des autres.

Le titre laisse néanmoins penser que le film va tourner autour d'une séparation alors que l'intrigue part ensuite vers une autre direction.

Dans la première séquence du film, le juge demande à la femme pourquoi elle souhaite quitter l'Iran, mais elle reste silencieuse. Le film raconte les multiples raisons pour lesquelles elle ne souhaite pas rester en Iran. Au départ, en fait, quand elle dit qu'elle veut quitter le pays, on dirait que c'est un outil de pression pour que le mari l'accompagne à l'étranger. Mais au fur et à mesure, le couple réalise que ça fait longtemps qu'ils ont chacun choisi une voie différente.

En définitive, le film amène plus de questions qu'il n'apporte de réponses...

C'est comme ça dans tous mes films ! Mes films n'ont jamais la prétention de vouloir apporter des réponses. Il se met toujours à la hauteur du spectateur et pose des questions. Si vous apportez des réponses, vous interrompez la réflexion du spectateur.

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Vous aviez déjà Leila Hatami en tête pour le rôle de Simin ?

Quand j'ai écrit le synopsis, avant même le scénario, j'avais déjà Leila à l'esprit !

Dans vos films, vous aborder des sujets délicats comme le divorce, la religion...etc. Vous n'avez pas peur de la censure ?

C'est comme quand on conduit une voiture, on a toujours peur d'avoi

 

r un accident ! (rires). Mais si je vous avoue mes stratégies pour contourner la censure, je ne pourrai plus les utiliser plus tard. Ce qui m'aide, dès le scénario, à passer à travers les mailles de la censure, c'est que je n'apporte pas de réponses, donc pas de jugement de valeur. Au lieu de dire "ceci est mal", je mets les personnages dans une situation qui pousse le spectateur à réfléchir sur le bien-fondé de leur comportement.

En effet, par moment, on penche plutôt en faveur d'un camp avant de basculer en faveur de l'autre couple. Notre opinion évolue sans cesse.

C'est vrai. Pour moi, il était hors de question de dire qu'un des couples, qui représente une des catégories sociales, avait raison et dominait l'autre. Il ne fallait absolument pas qu'on sente cela.

L'Iran est un pays qui encourage beaucoup le cinéma, avec des écoles et des festivals très réputés, mais qui paradoxalement se montre extrêmement sévère à l'encontre des dissidents.

C'est peut-être parce qu'il n'y a pratiquement aucun autre divertissement. Les gens vont donc naturellement vers le cinéma. C'est compliqué pour la musique, la sculpture, la danse. Le cinéma reste l'un des seuls moyens pour les jeunes de faire de l'art.

Comment expliquez-vous qu'après la révolution islamique de 1979, le gouvernement ait continué à soutenir le 7e art alors que dans d'autres pays, toute forme d'art a été bannie ?

Le système politique en Iran est très complexe. L'Etat n'a aucun problème avec le médium cinématographique en soi. La majorité des films est produite avec l'argent de l'Etat et les fonds publics. Alors dans la mesure où il met de l'argent dans les films, l'Etat considère qu'il a le droit de contrôler leur contenu. Mais il y a aussi des films financés par des fonds privés. Ces réalisateurs qui font appel aux fonds privés sont ceux-là même qui ont peur de la censure et c'est un des moyens pour passer à travers les mailles. Mais il ne faut pas croire qu'en Iran, tous les films sont bons. Sur une centaine de films produits, il y en a 90 qui ne valent pas grand chose.

Pour finir, avez-vous un message pour vos confrères Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof ? (condamnés à plusieurs années de prison et d'interdiction de travailler)

Comme tout le monde, je suis très attristé par cette condamnation. Tout ce que je peux lui souhaiter, c'est qu'il continue malgré tout à faire des films. Il n'acceptera jamais de faire des films sous contrôle. Si on ne lui laisse pas une totale liberté d'expression, il continuera à tourner en cachette !


Propos reccueillis par Marion Batellier, publiés le 7 juillet 2011 sur http://suite101.fr

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