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Cinecdotes
2 mars 2007

Viviane Candas, une réalisatrice qui prend son temps

Il y a quatre ans, Viviane Candas nous avait fait découvrir l’envers du décor des peep-shows dans son premier film, Les Baigneuses. Pour son second long-métrage, Suzanne, la réalisatrice a choisi de traiter tout en retenue de l’amour à 70 ans, du deuil et des préjugés. A l’occasion de la sortie de son film, Viviane Candas nous en dit plus sur ses thèmes de prédilection.


Pourquoi avoir choisi le prénom Suzanne pour le titre ?

Je l’ai choisi en référence au texte biblique « Suzanne et les vieillards ». L'histoire de Suzanne, qui forme le chapitre 13 du Livre de Daniel, décrit le désir éprouvé par des hommes âgés pour une voluptueuse jeune femme. De nombreux tableaux ont été peints autour du thème de Suzanne. On y voit la jeune femme épiée par un ou plusieurs vieillards alors qu’elle prend son bain. La Suzanne de mon film est pareille à celle du mythe, innocente et généreuse à la fois.

Justement, vous avez choisi une comédienne très belle et avec des formes…

Oui, la comédienne qui joue Suzanne, Christine Citti, exprime tout à fait cette générosité. Dès qu’on la voit à l’écran, elle irradie l’image. Même si elle est encore en retrait dans la boulangerie, on sait que c’est elle qui va bouleverser la vie de Frank. Et au fur et à mesure qu’elle entre dans la vie de Frank, cet éclat dépeint sur lui et lui redonne le goût de vivre.

Comment avez-vous pensé à Patrick Bauchau (connu pour la série américaine Le Caméléon) ?

En cherchant un acteur de sa tranche d’âge, je suis tombée sur son site internet. J’ai été séduite par le fait que c’est un homme de lettres, comme mon personnage, et par sa monogamie aussi (il est marié à la même femme depuis plus de 50 ans). Je me suis dit que c’était l’interprète idéal pour Frank. Je lui ai envoyé le scénario par mail et il a tout de suite accepté. Comme il était engagé sur une série à Los Angeles, il n’est arrivé à Paris que la veille du tournage.

Suzanne : photo Patrick Bauchau, Viviane Candas

Dans votre film, vous évoquez des sujets tabous : la guerre d’Algérie, le deuil, l’amour et la sexualité après 60 ans…

Le tabou sexualité/troisième âge, c’est vrai que c’est très violent. Il y a une espèce de candeur qui pousse à croire que la sexualité, c’est la découverte de la sexualité chez des gens qui ont entre 15 et 25 ans, qu’on arriverait à l’apogée à 40 ans, qu’à 50 ans, ce serait déjà le déclin et qu’à 60 ans, on n’en parlerait plus ! C’est totalement faux. Evidemment, la sexualité a des rythmes différents, mais elle continue à se développer jusqu’au bout. La frénésie n’est peut-être pas la même, mais elle est aussi forte, peut-être même de plus en plus forte, je vous dirai ça quand j’aurai 70 ans ! Mais en tout cas, ce que j’entends autour de moi, c’est que les sentiments amoureux sont les mêmes pour les gens qui sont restés vivants.

Surtout que l’on a de nouveau 20 ans lorsqu’on est amoureux…

On a 20 ans parce qu’on a le cœur qui bat, peut-être. C’est ce que m’avait dit une amie de ma grand-mère qui a rencontré son quatrième mari vers 68 ans : « Quand j’avais rendez-vous avec lui, j’avais le cœur qui battait comme à 20 ans ». C’est quand même très joli à entendre. La dernière réplique du film, qui est « J’ai 70 ans, je vis mon dernier amour et quand vous aurez mon âge, vous verrez que le dernier amour c’est le plus beau » m’a été directement inspirée par une cinéaste de la Nouvelle Vague du nom de Paula Delsol que j’ai rencontrée il y a une dizaine d’années. Un jour, à l’époque de la sortie de mon précédent film, elle m’appelle et me dit : « Je n’ai pas le temps de te voir. Tu comprends, j’ai 72 ans et je vis mon dernier amour. Et quand tu auras 72 ans, tu verras que le dernier amour, c’est le plus beau ! ». J’ai trouvé ça tellement extraordinaire que j’ai repris la réplique. Je lui rends hommage à travers le film.

 

Christine Citti


Justement, quels sont les cinéastes qui vous ont le plus inspiré, en particulier pour ce film ?

Je ne sais pas quoi vous dire. Le cinéma qui m’a beaucoup marqué pendant mon enfance et mon adolescence, c’est le cinéma italien. Il m’a plus marqué que le cinéma américain. J’aime beaucoup le cinéma russe aussi. Je pense qu’il y a un langage particulier pour chaque film. Les gens qui aiment ce que je fais, en général, ils disent : « Tiens c’est original, on n’a jamais vu ça ». Je crois qu’il y une écriture à trouver pour chaque film qui se joue entre le cadre, l’image et la cadence. Ce que je considère comme réussi dans Suzanne, c’est la cadence ; c’est la façon dont au fur et à mesure que Suzanne entre dans la vie de Franck, le temps se dilate.

Et pourquoi avoir attendu 45 minutes de film avant d’introduire l’histoire entre Franck et Suzanne ?

Parce qu’il fallait installer une vie dans laquelle on le voit évoluer. Que cette vie s’interrompe brutalement lorsqu’il perd sa femme. Il ne supporte pas la perte de sa femme. Il va habiter chez son copain qui est un coureur de jupons mais il n’est pas mieux que chez lui. A la suite de l’incident au manège, il décide d’aller chez sa fille. A cette occasion, il replonge dans un deuil plus ancien et beaucoup moins normal et acceptable que la mort de sa femme ; et c’est sa capacité à mobiliser sa mémoire et à revenir sur ce deuil qui réactive les formes de la vie chez lui. Il est capable de rencontrer Suzanne parce que tout ce travail de deuil a été fait.

L’interprétation semble plus théâtrale que cinématographique. Etait-ce volontaire ?

La « théâtralité » viendrait de la cadence et du cadre. De la cadence d’abord, dans le traitement du temps, plus le film avance, plus il est traité en plans séquences. Dans un film, si on groupe les plans séquences vers la fin, on obtient cette sensation de temps dilaté, extrêmement précieux, si on arrive à éviter l’ennui. Concernant le cadre, j’ai fait peu de gros plans, peu de champ/contrechamp, car c’est un film sur un homme qui donne une perspective sur le monde et sur ceux qui l’entourent, qui manifeste une grande capacité à l’altérité. Du fait que j’ai tourné en peu de jours, peu de séquences et surtout peu de plans, avec une majorité de scènes d’intérieurs, on obtient cette frontalité du plan-séquence, et cette impression de théâtralité. Elle est propre à ce film.

Aux César, Pascale Ferran (réalisatrice de Lady Chatterley, ndlr) a fait un discours très percutant sur l’appauvrissement des films d’auteurs. Avez-vous rencontré beaucoup de difficultés pour monter le film ?

C’est le sujet, une histoire de « vieux » qui ne semblait pas assez sexy pour les chaînes, cryptées ou publiques, qui ont toutes, sauf Ciné Auteur, refusé mon scénario au motif qu’il n’y aurait « pas de public pour ce film » alors que la population de ce pays vieillit. J’ai dû l’adapter pour le rendre « tournable » en 21 jours avec une équipe héroïque et un producteur aventurier. Le public, c’est maintenant qu’il se montre, qu’il va répondre aux « décideurs ». Pascale Ferran a fait aux César un discours calme, ferme et très clair, c’est pourquoi il a été entendu. Le cinéma d’auteur, le nôtre, se pratique dans des conditions de plus en plus extrêmes, c’est un cinéma de pauvre, mais cela reste du cinéma ! Ce qui est sûr, c’est que la réforme du statut des intermittents du spectacle touche en premier les auteurs réalisateurs, or ce sont nos idées qui génèrent du travail, quand elles voient enfin le jour.



Propos recueillis par Marion Batellier – 2 mars 2007 – www.commeaucinema.com

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